Parce que le monde t’a accueillie ce jour en témoin de l’inexpiable, tu seras un homme, ma fille!
Blaise ndala, dans le ventre du congo
7.5/10
Dans ce roman, nous suivons l’histoire de la princesse Tshala Nyota Moelo, princesse du prestigieux royaume précolonial Kuba, puis de sa nièce homonyne, Nyota; « étoile à qui le fleuve demande son chemin ». Tshala, en tombant amoureuse d’un jeune colon Belge, s’affranchit de ce titre royal et fuit sa ville natale pour obtenir la protection de son amant à Léopoldville (Kinshasa aujourd’hui). Malheureusement, Tshala osa poser l’un des pires actes aux yeux de l’homme fier : l’humilier. Ainsi, on la forcera à voyager jusqu’en Belgique pour l’exposition de 1958 et où, 45 ans plus tard, sa nièce tentera de la retracer afin de trouver les derniers morceaux d’un puzzle familial qui permettrait au roi Kuba d’enfin trouver la paix. Blaise Ndala navigue avec une plume poétique dans les eaux troubles qu’était l’époque du Congo Belge. La note imparfaite que je lui donne s’explique par le simple fait qu’on retrouve dans ce livre de nombreux personnages et quelques époques qui s’entremêlent sans que tous les liens soient bien expliqués, ce qui peut perdre un peu le lecteur. Autrement, l’histoire est aussi poignante que la plume est chantante; une belle lecture à faire au son de la musique de Wendo Kolosoy (qu’on retrouve d’ailleurs dans ce livre!) et qui pousse très certainement à la réflexion.
Expo 58
L’expo 58 de Bruxelles regroupa, comme toutes les expositions universelles, de nombreux pavillons présentant les avancées technologiques et artistiques de différents pays. À cette époque, ce qu’on connaît aujourd’hui comme la république démocratique du Congo était toujours le Congo belge. Afin de démontrer au monde comment ce pays bénéficiait de la colonisation Belge, le gouvernement monta un pavillon représentant un « village typique » avec des figurants, bien sûr, Congolais. Ce « village » était évidemment une caricature de ce qu’était réellement le Congo et doit porter son nom véritable : un zoo humain. Un zoo où les visiteurs leur lançaient des bananes. Les traitaient de singes. Les touchaient. Un zoo qui leur faisait perdre toute humanité.
Ces hommes et ces femmes ont donc été montrés dans ce parc comme chair à badauds, autrement dit des créatures censées nourrir notre curiosité à l’égard du sauvage. Ils nous ont permis de légitimer une fois de plus l’entreprise coloniale comme projet de société, aux yeux de nos compatriotes qui auraient pu douter de ce que notre mission civilisatrice avait apporté aux indigènes d’Afrique centrale. Je ne m’y serais pas impliqué si je ne pensais pas que cela n’avait rien d’immoral, même s’il y avait manifestement des maladresses que l’on aurait pu corriger. Les souvenirs ont beau être vivaces au moment où je couche ces lignes dans la moiteur de la nuit ardennaise, c’était une autre époque, dans un monde autre, mon cher Francis. Mais même si telle est la vérité, je dois te confesser que dès le jour où j’ai regardé pour la première fois un de ces Africains dans le fond des yeux, j’y ai vu la couleur du mensonge le mieux partagé de mon époque. Puisque nul ne peut mentir à sa propre conscience, un gros doute a germé au fond de mon esprit. Un doute qui s’est transformé en malaise, puis en révolte. Contre moi-même, à l’évidence, pour n’avoir pas réussi à faire entendre à l’intérieur de mon comité la petite voix qui, depuis le début, me disait avec insistance que plus que de cautionner de simples maladresses, nous commettions une faute morale.
Blaise Ndala, Dans le ventre du Congo

Aujourd’hui
Vous ne m’en voulez pas d’avoir utilisé le mot Nègre, j’espère? Je suis incorrigible, c’est Noir qu’on dit de nos jours, oui?
Blaise ndala, Dans le ventre du congo
Aujourd’hui, la République démocratique du Congo n’est plus le Congo belge. Aujourd’hui, il n’y a plus de zoo humain. Malgré tout, le racisme est toujours présent. En cherchant l’origine de la photo présentée ci-haut (que je n’ai malheureusement pas trouvé, donc si vous la connaissez, faites-moi signe!), j’ai vu des commentaires qui m’ont donné des haut-le-cœur, des commentaires démontrant un manque d’humanité qui me parait impossible. En 2014, un joueur de football se fait lancer une banane sur le terrain, 56 ans après que les figurants du zoo humain de l’expo 58 s’en soient fait lancer. Le même geste, la même terrible signification. Aujourd’hui, le racisme est toujours présent.
Un jour, il y a quelques années, je suis allée visiter un camp de concentration, à Dachau. À la sortie des chambres à gaz, je suis restée seule longtemps à fixer cette cabane qui me semblait trop petite pour l’ampleur de sa terrible histoire. Un homme âgé m’a apostrophé, m’a parlé en allemand d’abord, anglais ensuite et finalement français. Il m’a raconté en détail ce qui se passait dans ce camp à l’époque, ce qui se passait dans cette cabane trop petite, il en parlait comme s’il y était. Et c’est tout comme : toute sa famille est décédée dans ce camp. Il avait fait le tour des camps en Pologne et en Allemagne et gardait Dachau pour la fin, tombeau de sa famille. Cet homme, finalement, comme pour expliquer le discours qu’il me faisait m’a dit : « J’ai pardonné aux Allemands. Il faut pardonner, mais jamais oublier. Et pour ne pas oublier, il faut en parler. Si on oublie, l’histoire se répètera. »
Alors, en l’honneur du mois de l’histoire des noirs se déroulant du 1er février au 1er mars, parlons-en. Parlons pour que l’histoire ne se répète pas et que, chaque jour, nous devenions meilleurs.
Il y a 60 ans, l’Expo 58 et son « zoo humain »
Le zoo humain de Tervuren (1897)
Mois de l’histoire des noirs : Honorer le passé, inspirer le futur
ASALH : Association for the Study of African American Life and History
Mais vous faites fausse route en donnant à une voix isolée plus de pouvoir qu’elle n’en a jamais eu. Vous faites fausse route parce qu’une telle voix peut sauver une brindille du feu, mais jamais elle n’empêchera la savane de brûler. C’est la savane qu’il eût fallu préserver, enseignant, la savane et rien de moins. Et dans le drame qui nous préoccupe, ce n’est point l’échec de votre père qu’il faut déplorer, c’est l’échec de son temps, qui est aussi le mien, un échec que rien ne pourra altérer. Je vous parle de ce temps qui avait tout réuni pour que face aux flammes allumées par le mépris et l’ignorance, la savane faite de nos vies amoindries, de notre grandeur bafouée et de nos misères entretenues, parte en fumée sans émouvoir nos maîtres tout-puissants – eux qui étaient venus à nous au nom d’un dieu nommé Amour, un Esprit qu’ils trahirent sous nos yeux sitôt qu’ils se rendirent compte qu’ils ne pouvaient mener à bien leur projet en ayant les mains liées par ses Dix Commandements.
Blaise ndala, Dans le ventre du congo