Valises au pas de la porte
Sans un regard, étreinte d'un bras
Billet d'aller pour voyageur solitaire:
Rappels constants d'un futur incertain,
D'absence de promesses pour demain.
Porte entrouverte : échappatoire,
Courant d'air pour éviter l'asphyxie
La mort par routine, son purgatoire
Son enfer; l'entrelacement de deux vies.
Étouffé par les mots, les besoins, les trops
Ces trops pourtant vides, asséchés
Creux de lacs et rivières, vidés
Ne reste plus que leur lit
Souvenirs de rêves ternis, meurtris
Une terre née dans l'espoir, aujourd'hui âcre, glacée
Un jardin décharné
Fleurs fanées.
Mais le billet reste inutilisé
Sur le mur, comme un symbole
Un geste qui se prétend désinvolte
Qui s'assure qu'on reste droit
Qu'on marche au pas.
Les trops le sont-ils vraiment?
Seraient-ils tolérés?
Appréciés?
Assez pour clore la porte, même sans empressement?
Assez pour inviter la pluie
À remplir lacs et rivières?
Retourner, nourrir et féconder la terre?
Dans un second souffle de vie
Déchirer ce billet, ce rappel quotidien
Que cette maison qu'elle lui a offerte
Ce coeur, cette âme dans ses mains
Ces promesses, pourtant modestes
Seront toujours trop, d'aujourd'hui à demain;
Un trop aussi débordant
Qu'insuffisant.
Entre deux mondes
Dans le roc il a été façonné,
Pour un monde froid mis à feu et à sang
Sa force a pour noms silence et fermeté
Solide, dur, inflexible et alerte sont sur sa rose des vents
Sa ligne directrice, l’honnêteté
Surtout, surtout, ne jamais dévier.
L’erreur est impardonnable:
de la faucheuse elle est l’arme.
Par les naïades elle a été façonnée
Pour un monde rêvé, espéré
En elle coule la rivière, douce mais fragile;
Les émotions qui vacillent,
Les yeux brillants, le coeur ouvert
Sans remparts, que des rimes et des vers.
Entre admiration et respect, ils se retrouvent,
Mais le roc demande à la rivière de se durcir
La rivière demande au roc de s’adoucir…
Il a besoin,
Elle a besoin,
Ils ont besoin…
de l’un de l’autre, mais qui tend la main?
Existe-t-il un entre-deux monde,
Ni parfait, ni terrible? Qu’Il réponde
après les avoir mis sur le même chemin,
qu’Il leur ouvre la porte d’un nouveau jardin
Une chance de s’aimer,
de se l’avouer.
Poésie de nuit
Oh ! si tu pouvais lire dans mon coeur, tu verrais la place où je t’ai mise !
Gustave Flaubert
Ma plume, trop douce
Mes mots, trop grands
Trop d’attentes, de secousses
Pour une vie rangée, calculée
Et pourtant…
Mon coeur, entend
Sous ma main, ma plume telle une pierre
Ne livre que des mots bruts.
Ni douceur,
Ni grandeur;
Expressions remâchées, ressassées, sur chaque frontière:
Sincères, pures, mais si infimes
Sur la montagne une simple butte,
Sur l’océan un simple étang;
De mon coeur, ils sont indignes.
Je prie;
Mon coeur, entend
Mes yeux, lis
Ma vie, prend
Tous les mots que je ne peux inventer,
Tous les mots que je ne peux exprimer;
Ils te diront, avec amour
Mon coeur,
Mes yeux,
Ma vie,
Ne sont plus miens.
Ils te diront, avec amour
Mon coeur,
Mes yeux,
Ma vie,
Déposés au creux de tes mains.
Coup de froid
“Talk to yourself like you would talk to someone you love.”
Brené Brown
De l’esprit au coeur
coup de vent, glacial
une voix, une seule, en contrôle
elle bâillonne et confine sa soeur;
le soleil, la bonté et la douceur
puisqu’elle ne se nourrit que de noirceur.
Elle a appris à faire mal:
efficace et sans morale,
angoisses et peurs, elle frôle
la torture.
Qu’est-ce qui l’a rendu si froide et dure?
Et puis, comment, dis-moi
échappe-t-on à la violence,
aux douleurs et brûlures
qui te privent de voix et foi
Lorsqu’elle est intérieure?
Insuffisante
Je me retrouve, si petite
au pied de ce grand mur
monté de pierres raisonnées, inflexibles.
J’y pose doucement l’oreille
dans l’espoir un peu utopique
d’y entendre ne serait-ce qu’un murmure
mais seul me parvient le son de mon coeur
battements tantôt saccadés, tantôt harassés.
Alors j’y pose les mains, tête baissée
dans l’espoir d’y sentir une présence, une chaleur
mais ne me revient que la dureté et froideur
de tes pierres raisonnées et inflexibles.
Je me retrouve encore, si petite
Impuissante
devant ce mur érigé contre mon coeur et mon gré
prétendant me protéger.
Et pourtant…
Mains posées sur la bouche et le coeur
je retiens le cri, les pleurs
qui poussent de toutes parts
pour étouffer ce terrible sentiment
d’insuffisance.
Mots couverts
Il est des mots qu’on ne peut dire.
Ni chuchoter au creux d’une oreille.
Même dans la nuit absolue, sous un rire
dans un souffle, un discours ou le sommeil
avec comme seuls témoins les étoiles
et toi.
Non, il est des mots qu’on ne peut dire
ou plutôt,
il est des mots que je ne peux te dire.
Des mots qui, par mes gestes, se dévoilent
des mots enveloppés par la soie
de mes caresses et baisers.
À mots couverts, gestes découverts;
je monte une mosaïque, une toile, un tricot
une oeuvre d’art de mes sentiments
pour t’entendre rire, te voir sourire, te réchauffer
dans l’espoir que tu ressentes ce que je ressens.
Et, quand tout est possible, sous le couvert de la nuit
j’espère et je prie
pour que dans chaque baiser
sur ta joue, ton cou, tes lèvres
j’aie davantage déposé
qu’une affection corporelle un peu mièvre.
J’espère et je prie
que mes baisers aient assez de passion
de douceur et provocation
pour que ton coeur entende
ces mots que je ne peux même te chuchoter.
Et puis…
J’espère et je prie
pour que tes caresses et baisers
dans tous les creux de mon corps déposés,
tes regards soutenus et évités
me répondent en fait: « moi aussi ».
Quand l’amour te fait signe, suis-le, même si le chemin qu’il emprunte est difficile et escarpé.
Khalil Gibran
Acceptation
Un mot, un regard suffit pour faire tressaillir une âme.
George sand
J’ai vu le jour avec un troisième œil, l’œil du cœur. C’est la meilleure façon que j’ai trouvé pour l’expliquer, pour l’imager. Certaines choses sont innées, d’autres sont apprises; je suis née avec une hypersensibilité, mais j’ai appris à l’utiliser et en tirer le meilleur parti. J’apprend toujours.
Alors même si, comme tous, je peux regarder la vie littéralement, je ne peux m’empêcher de la voir aussi avec l’œil du cœur et celui-ci prend bien souvent le dessus. Car la différence entre les deux est que je ne peux pas fermer l’œil du cœur; il voit tout en tout temps. Il ressent tout.
Il ressent les petits tressautements de la vie, les petits changements de ton dans la voix, les regards qui fixent et ceux qui évitent, les nuages au-dessus des têtes, les éloignements et les rapprochements les plus infimes, les énergies positives et négatives. Il s’inquiète des petits malheurs, mais s’émerveille aussi des petits bonheurs. Pour lui, en fait, rien n’est petit et tout est important.
Avec le temps, j’ai appris que cette capacité à vivre dans les détails peut faire peur à ceux qui voient la forêt plutôt que chaque arbre et fleurs qu’abrite celle-ci.
Premièrement, à leurs yeux, l’amour que je vis et offre semble démesuré. Il arrive comme une vague impressionnante puisque je ne le tiens pas en laisse et pourtant, il n’est ni plus grand ni plus important que l’amour ressenti par les autres. Il est simplement exprimé sans retenue. L’œil du cœur n’a pas ce masque naturel que certains trouvent avec l’âge, il est un livre ouvert dans un monde où les masques sont importants. Je ne le dis pas avec cynisme, condescendance ou critique, mais je l’énonce plutôt comme un fait. Si personne ne portait de masque, le monde ne survivrait pas longtemps. Au fond, tout est une question d’équilibre; le monde a besoin des gens qui voient la forêt dans son ensemble afin d’assurer son bon fonctionnement général, mais aussi des quelques-uns qui peuvent pointer l’arbre malade avant que toute la forêt soit affectée du même mal. Alors oui, l’amour, comme tout le reste de ma vie, se vit dans les détails et sans masque. Sans protection.
Et cette expressivité fait peur à certains. Car l’humain, étant pour la majorité fondamentalement bon, ne veut pas blesser les autres. L’humain a également cette fâcheuse manie de penser que sa façon d’expérimenter la vie est similaire à celle des autres alors que chaque expérience est unique. Donc, en amour, l’œil du cœur fait peur à ceux qui ne l’ont pas, car ils ont l’impression que cette personne s’emballe pour un rien et qu’elle ne survivrait pas à la peine qui viendrait si les choses ne fonctionnaient pas. Car, eux, s’ils ressentaient autant sans protection, ils ne survivraient pas. Et, pour revenir à l’humain qui est fondamentalement bon, personne ne veut être responsable de la douleur d’autrui.
Mais l’humain est bien fait; il s’adapte à sa situation. Surtout quand c’est ce qu’il a toujours connu. Et je suis née avec cet œil au cœur, j’ai grandi et appris avec lui. Je suis toujours ici, toujours heureuse. Mon œil du cœur est mon hypersensibilité, il fait partie de moi et je ne pourrai jamais le fermer. Alors je ne vois que deux choix : prétendre que je le ferme et qu’il n’existe pas ou tout simplement l’accepter pour ce qu’il est.
Mon hypersensibilité est une chance de voir tous les magnifiques détails de la vie qui passent souvent inaperçus et de ressentir de grands bonheurs grâce à de toutes petites choses. Elle n’est pas une misère qui me fait me morfondre dans un monde sombre et froid. Elle est chaude et rafraîchissante tout à la fois. Elle est généreuse; elle aime partager et propager ces grands bonheurs autour d’elle.
Mon hypersensibilité sait qu’aussi grande que puisse être la peine, aussi noire que puisse être la nuit, le soleil se lèvera à nouveau et elle s’émerveillera de la même rosée qui l’a émerveillé cent fois déjà.
Mon hypersensibilité refuse de prétendre que ses émotions n’existent pas, car elle sait ce que fait l’enfermement aux émotions et aux cœurs, elle sait que cet enfermement est la source de bien des maux du monde. Et elle veut peindre le monde de toutes les couleurs, pas l’effacer.
Mon hypersensibilité, si on cesse de la traiter comme une tare, une faiblesse, une faute, une maladie… Mon hypersensibilité peut faire découvrir au monde les beautés terrées au creux de la forêt.
Mon hypersensibilité est non seulement une force, mais ma plus belle qualité.
Les biens et les maux qui nous arrivent ne nous touchent pas selon leur grandeur, mais selon notre sensibilité.
La rochefoucauld
Qu’une simple rose
Je ne suis que moi;
joues, coeur et regard rosis,
sensible, émotionnelle, délicate,
un petit bout de rose inerme.
J’entend mes soeurs, leurs cris,
leurs suppliques indésirables:
« Où sont tes épines?! »
Mais je ne suis que moi.
À mes soeurs je dis:
Je ne veux pas changer le monde.
Non, je veux plutôt dire merci
à ceux qui ont tout bâti,
merci de m’enseigner la vie
de corriger mes gestes qui diffèrent
des vôtres.
Non, je ne veux pas prendre
ces grandes décisions,
les petites me suffisent,
celles pour lesquelles vous n’avez pas le temps;
les décisions de peu d’impact.
Merci pour les conseils de floraison
chers botanistes,
car, pour vos yeux j’existe.
Seulement qu’eux.
J’aimerais faire pardonner
mes faiblesses;
mes larmes et émotions
qui vous blessent et perplexe.
Je n’aurais pas dû réagir ainsi.
Je n’aurais pas dû réagir.
Pardonnez aussi mes soeurs
qui jugent le lot plutôt que l’individu
après des évènements hebdomadairement sporadiques.
Je ne suis que moi
sans désir de changement
sans haine ni amertume
même quand, dans la tempête,
je me demande
pourquoi seule ma foudre est émotionnelle
et non la vôtre?
Pourquoi ma pluie est démesurée
et votre refoulement admiré?
Pourquoi mes épines seraient toxiques,
alors que les vôtres seraient puissantes?
Pourquoi mon nuage serait un ouragan,
quand votre ouragan ne serait qu’un nuage?
Pourquoi dois-je rester si petite
afin que vous apparaissiez plus grands?
Ce sont de bien grandes questions
pour une petite rose inerme.
Après tout, je ne suis que moi.
Alors je souris.
Mais elle était du monde, où les plus belles choses
François de MALHERBE
Ont le pire destin ;
Et rose elle a vécu ce que vivent les roses,
L’espace d’un matin.
Tricot
Mon corps vomit son tricot
Et me couvre de douleur
Comme pour apprendre
Que la vie ne tient qu’à un fil
Qui peut facilement se rompre
Texte d’un auteur anonyme dont je n’ai pas le mérite, mais auquel je tiens particulièrement.
Trop
En équilibre sur ma tête depuis toujours
Vase de verre qui, de jour en jour
S’est rempli de trop:
Trop sensible
Trop silencieuse
Ironie; trop loquace
Trop effrayée
Trop émotionnelle
Trop.
Jusqu’à l’inévitable débordement de ces trop
Qui coulent du vase à mes joues, à ma poitrine
Jusqu’à l’inévitable inclinaison puis chute
Du vase qui glisse, et tombe
Et tombe
Et tombe
Pour une éternité.
Alors suis-je finalement libre?
Noyée par les trop, je ne peux crier.
Je veux courir, m’échapper,
Mais comment sans m’écorcher?
Mille éclats de verre à mes pieds;
Figée, je suis maintenant tout à la fois,
Trop.
Et pas assez.